La peur de l'échec
Honoré lecteur, j’ai une question pour vous : « Qui a 4 pattes le matin, 2 pattes le midi et 3 pattes le soir ? ». Si vous avez répondu « L’Homme », vous avez réussi, mes félicitations ! Vous êtes intelligent et surtout cultivé. Je n’en attendais pas moins de vous, je sais que mon public est plutôt doué pour ce genre de choses.
Sachez que ce que je viens de faire n’est pas bien. On croit bien faire en louant l’intelligence des personnes. Ils ont correctement agit alors on les félicite, cela nous semble tout à fait normal. Hélas, cela peut les desservir. C’est, du moins, ce que tend à démontrer les travaux du docteur Carol Dwerk. Récompenser en cas de réussite amène surtout la personne à craindre l’échec. En effet, la personne peut réagir comme suit : « On me complimente car j’ai bien agi et c’est agréable mais que se passe-t-il si on ne réussit pas ? Je passerai pour un idiot. C’est nul ! Je dois réussir, je dois montrer que je suis intelligent ». Cela amène à une peur de l’échec et les incite ainsi à ne surtout pas prendre de risques, car ils risqueraient d’échouer, donc de « décevoir » et de passer pour un idiot. Ils vont alors fuir les situations périlleuses, ou s’ils les acceptent, ils se mettront une pression folle alors que l’anxiété est nocive. De même, on dénature l’objectif de la pratique. La finalité n’est pas d’avoir l’air intelligent mais d’apprendre quelque chose, de s’améliorer. Tout ça car on pousse, par les compliments, à une obligation de résultat. Tu veux des encouragements, faut que tu réussisses ! Sinon, tu n’auras rien ou pire, une remarque désagréable. Cela amène ces personnes à fuir les problèmes, cacher leurs échecs, critiquer un élément externe (celui qui a fait l’épreuve, le système, l’environnement, les conditions de l’épreuve) ou encore à feindre l’ennui et le désintérêt pour ne pas s’y frotter. Il faut au contraire changer de paradigme et non plus saluer le résultat mais les efforts déployés pour essayer d’y arriver. Si je posais un problème mathématique à un doctorant en math dont c’est la passion, sa résolution sera instantanée et sans effort. Si je pose la même à une personne pas matheuse mais que cette dernière cherche un moment, me pose plein de questions, s’interroge, essaie des trucs et finit finalement par y arriver, n’est-elle pas plus « méritante » d’un compliment ? L’effort est ce qu’on devrait saluer plus que le résultat. Et quand je dis effort, je parle de toutes les aptitudes et compétences qui ont pu être démontré durant la phase de recherches, comme la « persévérance », « la créativité », « l’ingéniosité », « le processus de recherche », « la maïeutique », ce que le Dr Dwerk appelle le processus (process en anglais).
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. En aucun cas, je ne veux mettre en avant l’échec et je ne fais absolument pas ça « car les pauvres bout-de-choux, faut les ménager ». Non, si vous me connaissez, j’exècre ce genre de réflexion. Je ne dis pas ça car c’est plus facile. Simplement, la peur de l’échec est une tare, vraiment. Si aujourd’hui, on n’ose pas assez entreprendre, c’est en parti à cause de ça. Quand on regarde les gens qui ont réussi, on y voit des génies, des gens incroyables et doués. On ne voit pas tous les échecs qu’ils ont subis en amont. Ainsi, Walt Disney a vu sa première société d’animation faire faillite, il s’est fait renvoyer d’un journal par manque d’imagination et lors de l’élaboration du parc d’attractions de nombreuses banques lui ont refusé tout financement (la légende dit dans les 300 refus mais ça, c’est la légende). Ford a fait couler 5 entreprises avant de réussir avec Ford Motor Company. Vous trouverez bien d’autres exemples illustres sur le net. Car le pire, ce n’est pas l’échec, mais de rater une occasion de construire quelque chose de formidable par peur d’échouer. Il est rare de réussir dès le premier coup. Tout simplement car on ne connaît que peu. Or, c’est par l’expérience qu’on apprend et même si on échoue, on a appris à connaître. Nous ne sommes plus en terre inconnue mais en terrain connu. L’échec doit être une opportunité d’apprendre. Si on tombe, c’est pour mieux remonter. Remonter plus fort, plus averti, plus alerte. C’est une occasion de tirer parti de ses erreurs. Et on est ainsi dans une démarche d’amélioration continue. L’échec n’est qu’un jalon vers une maitrise supérieure et une perception accrue. Ainsi, il ne faut pas valoriser l’échec mais faire cesser cette phobie paralysante.
En outre, les valeurs que l’on prêche comme « la sensibilité artistique », « l’intelligence », « la culture » sont perçues comme des aptitudes…je ne dirai pas inné car la culture n’est pas inné…mais disons « on l’a ou on ne l’a pas ». Cela sert parfaitement d’excuses quand on ne veut pas faire quelque chose. Combien de fois ai-je entendu « Non mais je ne suis pas bon avec les chiffres » pour justifier ne pas s’intéresser aux maths ? Pourtant, il n’y a à aucune aptitude qui est fixé dans le marbre. C’est seulement par la pratique qu’on en apprend la maitrise. Il n’y a pas de dons absolus innés que personne ne pourrait égaler. Il y a des facilités, des personnes qui vont avancer plus ou moins vite. Mais avec du travail, on pourrait atteindre leur niveau. Il n’y a rien d’inaccessible. Simplement, à un instant T, certains ont assimilé des choses et d’autres non. Mais plutôt que taper sur les doigts de celui qui échoue, ce qui va juste l’inciter à décrocher, on lui dit qu’il n’a pas encore acquis tel concept. Une école à Chicago a développé le concept du « yet », « encore » en français. « X didn’t understand this concept…yet ». C’est un petit mot, c’est tout bête et peut paraître anodin si ce n’est anecdotique mais croyez-moi ça compte. Et ce n’est pas moi qui le dit mais les études éprouvées du Dr Dwerk.
Elle a formalisé cela en deux concepts : Fixed Mindset et Growth Mindset. Lorsqu’on est dans un état d’esprit « fixed mindset », on pense « on n’est bon ou on ne l’est pas », « je n’aime pas échouer », « je n’aime pas les challenges trop élevés », « si tu es meilleur, je me sens menacé », « mes compétences déterminent tout », « si je bloque trop, je ragequit », « j’aime qu’on salue mon intelligence ». À l’inverse, lorsqu’on est en « growth mindset », on pense « Avec un peu d’efforts, je peux apprendre n’importe quoi », « je me challenge sans cesse pour toujours progresser », « Si j’échoue, c’est une occasion d’apprendre », « si je bloque trop, je reprends calmement et m’opiniâtre », « j’aime qu’on salue mes efforts et ma persévérance». On prend deux groupes d’élèves de sorte que la moyenne des notes soit sensiblement la même. D’un côté on utilise tous les préceptes que j’ai susmentionné et de l’autre, on garde le système normal. Au départ, les deux évolueront pareillement mais au bout d’un moment, les notes du groupe « Growth Mindset » augmenteront. Cela s’explique simplement. Leurs finalités sont différentes, les fixed mindset veulent paraître intelligents alors que les growth mindset ont une appétence à apprendre de nouvelles choses quitte à échouer lamentablement. Mais ce n’est pas grave, c’est juste qu’ils n’ont pas ENCORE acquis ce qu’il fallait mais cela viendra avec du temps, de la volonté et de la pratique.
Ses traits de caractère ne sont pas immuables. Un « fixed mindset » peut devenir un « growth mindset ». Ce n’est pas évident, cela demande un travail sur soi et la perte de certains réflexes comme celui de s’autoflageller en cas d’erreur (ne plus se dire « t’es nul, bon à rien, tu n’y arriveras jamais »). C’est vraiment une nouvelle vision des choses et ça ne se change pas comme ça. Mais franchement, cela en vaut la peine. Ne plus sentir le poids de l’échec, ne plus se scarifier à chaque erreur, ne plus craindre d’avoir l’air idiot, ne plus chercher à se mettre en avant et réussir à tous prix et en toutes circonstances, c’est un soulagement énorme et de l’anxiété et du stress en moins. Et le must est qu’en plus, vous grandirez plus vite. On a donc tout à y gagner à passer au growth mindset. Et cela commence déjà par vous-même sur les remarques que vous vous faites et celles que vous faîtes aux autres. Saluer les efforts et le processus plus que le résultat.
07/01/2018 à 15h20
05/01/2018 à 23h02