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Un processus infini peut-il se terminer?

26 Dec

2016

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Écrit Par  Yann Bidon
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Un processus infini peut-il se terminer?

Est-ce qu'un processus infini peut se terminer? Voilà une question forte intéressante. "Stupide" diront certains sans comprendre toute la subtilité scientifique derrière. "C'est trivial" diront d'autres, "par définition, ça n'a pas de fin". La question est en réalité plus subtile que ça car on ne parle pas de fin, on parle de terminer, d'un après, peut-il y avoir un "après" lors d'un processus infini?

Je m'explique. Connaissez-vous le paradoxe de la dichotomie? Il fait parti des fameux paradoxes de Zénon d'Élée, philosophe grec présocratique du Ve siècle avant J.C. Concrètement, il se présente comme sui: Zénon se tient à huit mètres d'un arbre et veut y lancer une pierre. Pour atteindre l'arbre, la pierre va d'abord devoir parcourir la moitié de la distance, soit 4m, puis la moitié des 4m restant, donc 2m, puis ainsi de suite. À chaque itération, il va devoir parcourir la moitié de la distance restante et ce, indéfiniment. Du coup, jamais la pierre ne touchera l'arbre car c'est un processus infini. C'est absurde, je pense que vous pourrez tous attester que la pierre touchera l'arbre (si tant est que Zénon vise bien). Pourtant, si je suis mon raisonnement, jamais il n'est censé le toucher car il restera toujours à la pierre à parcourir l'autre moitié de la distance restante. Que dire alors?

"Simple! Tu ne m'auras pas, Yann. On parle ici du monde réel! Or le monde réel est bornée par la physique. Or la physique nous dit qu'il y a, à un certain niveau, un élément insécable, qu'on ne pourra plus diviser en deux. Pendant longtemps, ce fut l'atome en tant que tel puis avec nos avancées modernes, c'est le quantas qu'on ne peut réduire. Basée sur la constante de Planck, utilisée pour décrire la taille des quantas, la longueur de Planck est une distance qu'on ne peut, à ce jour, physiquement pas réduire. Celle-ci est de [math]l_p = 1.616252 \times 10^{-35}m[/math]. On ne peut alors pas dans le monde réel diviser par deux la distance entre la pierre et de l'arbre indéfiniment! Donc ça ne marche pas car ce n'est pas un processus infini."

Oo Bah Billie, tu as pris des cours depuis notre dernière rencontre? Bah tu sais quoi? Ce que tu dis est vrai. On ne peut pas physiquement diviser continuellement par deux, on est borné par la constante de Planck et ce qui en découle. En outre, même si on remettait en cause cette constante et trouverait un élément encore plus petit, on ne ferait que réduire cette valeur mais elle ne sera jamais infini. Cependant, on est d'accord que quand le monde abstrait des maths, on peut. Représentons mathématiquement le cheminement de la pierre. On est d'accord qu'à chaque étape, je vais devoir ajouter à la distance précédente un demi de elle-même, ce qu'en terme de suite, on dirait [math]u_{n+1} = \frac{1}{2}u_n[/math]. Et on va faire la somme des éléments de cette suite. Appelons cette somme S et la distance à traverser d. On a donc :
[math]S = \frac{1}{2}d + \frac{1}{4}d + \frac{1}{8}d + \frac{1}{16}d + ...[/math]
Multiplions S par 1/2 :
[math]\frac{1}{2}S = \frac{1}{4}d + \frac{1}{8}d + \frac{1}{16}d + ...[/math]
Et si je soustrais les deux équations, que se passerait-il? Tous les éléments qui continuent à l'infini s'annuleront sauf le premier. On obtiendra :
[math]\frac{1}{2}S = \frac{1}{2}d \Rightarrow S = d[/math]
La distance sera donc atteinte...même dans le monde des mathématiques sans constante de Planck. Car oui, Billie, une somme infinie peut arriver à un résultat fixe et déterminé. L'un des exemples les plus parlant est le suivant:
[math]S = 0.9999...\\
10S = 9.9999...\\
10S = 9 + 0.9999...\\
10S = 9 + S\\
9S = 9\\
S = 1\\
1 = 0.9999...[/math]
Ceci n'est valable que pour l'infini. Il ne peut pas y avoir de dernier 9 sans quoi ça ne serait plus égal mais à l'infini, c'est réellement égal. 1 = 0.9999.... Tout comme [math]d = \frac{1}{2}d + \frac{1}{4}d + \frac{1}{8}d + \frac{1}{16}d + ...[/math]

"Une addition infini qui se traduit par un nombre défini... Je ne sais quoi dire. Tu es sûr qu'il n'y a pas erreur? Que ce n'est pas un raisonnement par l'absurde par exemple". Ok, je vais prendre un autre exemple. On va parler des supertask et de la lampe de Thomson. J'allume une lampe puis j'attends une minute. J'éteins alors la lampe et j'attends moitié moins de temps donc 30 secondes. Je rallume ma lampe et j'attends 15 secondes et je continue le processus d'allumer et d'éteindre la lampe indéfiniment. Comme je divise le temps d'exécution par deux à chaque fois, on est d'accord que comme pour le paradoxe de Zénon, on a ici un processus infini. Or, pour ce processus infini, je réduis le temps de chaque étape de moitié ce qui fait que ce processus infini va durer un instant fini. Au passage, c'est ça qu'on appelle une supertask. Car in fine, qu'y a-t-il à 2 minutes? La lampe est-elle allumée ou éteinte? Car l'infinité des actions s'est déroulée dans ces deux minutes si vous regardez bien. La somme ne va pas nous aider cette fois car elle diverge entre deux états (allumé 1 et éteint -1) qui n'est pas sans rappeler cet article où l'on trouve que la réponse est 1/2 donc que ça peut être soit l'un, soit l'autre. On ne peut le déterminer.

Paul Benacerraf vient alors à notre aide dans son écrit "Tasks, super-tasks, and the modern eleatics". Il souligne que nous sommes incapable de déterminer l'état de la lampe car nos informations ne sont pas complètes. On a mélangé le monde réel (la lampe) et le monde mathématique. Comment fait-on pour que la lampe alterne d'état? Si par exemple, c'est une boule électrique rebondissant sur une plaque conductrice dont la hauteur diminue à chaque fois de moitié comme sur le dessin ci-dessous, alors là, on est capable de déterminer :
image utilisateur

Car on connaît ici la situation finale, la boule cessera de rebondir à la fin de notre supertask et cela nous permet de déduire la situation finale de la lampe en fonction du circuit électrique utilisé. Le fait de mathématiquement pas pouvoir déterminer la situation finale est justement du à cette abstraction du monde mathématique, voilà tout. Il n'en reste pas moins qu'il est totalement possible pour un processus infini de se terminer.

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